"Let books be your dining table, / And you shall be full of delights. / Let them be your
mattress,/
And you shall sleep restful nights" (St. Ephraim the Syrian).


Friday, December 20, 2013

Antoine Arjakovsky Leads the Way

A couple of weeks ago, the University of Notre Dame Press sent me the translation of Antoine Arjakovsky's book, The Way: Religious Thinkers of the Russian Emigration in Paris and Their Journal, 1925-1940, which I've previously noted on here. The publisher tells us the following about the book:

The journal Put', or The Way, was one of the major vehicles for philosophical and religious discussion among Russian émigrés in Paris from 1925 until the beginning of World War II. The Russian language journal, edited by Nicholas Berdyaev among others, has been called one of the most erudite in all Russian intellectual history; however, it remained little known in France and the USSR until the early 1990s.
This is the first sustained study of the Russian émigré theologians and other intellectuals in Paris who were associated with The Way and of their writings in the journal. Although there have been studies of individual members of that group, this book places the entire generation in a broad historical and intellectual context. Antoine Arjakovsky provides assessments of leading religious figures such as Berdyaev, Bulgakov, Florovsky, Nicholas and Vladimir Lossky, Mother Maria Skobtsova, and Afanasiev, and compares and contrasts their philosophical agreements and conflicts in the pages of The Way. He examines their intense commitment to freedom, their often contentious struggles to bring the Christian tradition as experienced in the Eastern Church into conversation with Christians of the West, and their distinctive contributions to Western theology and ecumenism from the perspective of their Russian Orthodox experience. He also traces the influence of these extraordinary intellectuals in present-day Russia, Western Europe, and the United States.
I've been reading Arjakovsky and corresponding with him off-and-on for several years now. I have long been an admirer of his scholarship for its gracefulness, its openness, and its refusal to reduce Orthodoxy to an ideology with which to club those who differ--something I see too much of. Arjakovsky is an admirable figure not only as a scholar, but also for his work as founding director of the Institute of Ecumenical Studies at the Ukrainian Catholic University in Lviv. Those who are aware of post-1991 relations between Russian Orthodox (which is Arjakovsky's tradition) Christians and Ukrainian Catholic Christians will know how remarkable a thing that is. Having left there recently, he currently teaches and works at the Collège des Bernardins in Paris.


My debts to Antoine are considerable. In fact, one of the very first things I posted on this blog when I started in 2010 was a discussion of his book Church, Culture, and Identity. Then, just over two years ago, I had a long discussion about his book on the much-promised "great and holy council" of Orthodoxy. Now at last we have in English his book The Way: Religious Thinkers of the Russian Emigration in Paris and Their Journal, 1925-1940, which tells a crucial chapter in Russian religious history, and so I was glad to have the chance to interview him about this latest book--which began many years ago as his doctoral dissertation. We conducted the interview in French. Perhaps if time allows over the holidays I might work on a translation.

AD: Parlez-nous de votre parcours.

AA: Le fait que mes grands-parents aient fréquenté de près les grandes figures de l’Ecole de Paris a déterminé non seulement mon identité franco-russe et chrétienne orthodoxe mais aussi mon questionnement historique. Ma grand-mère était l’assistante de Nicolas Berdiaev le directeur des éditions YMCA Press à Paris, et mon grand-père était un élève du père Serge Boulgakov à l’Institut saint Serge. J’ai su très jeune que le renouveau philosophique et théologique de l’Ecole de Paris ne concernait pas uniquement l’Eglise Orthodoxe, il s’adresse encore aujourd’hui à tous les intellectuels de bonne volonté. En effet la philosophie personnaliste de Berdiaev n’a pas été entendue en son temps et le renouveau sophiologique de la théologie dogmatique a subi des attaques violentes des courants pro-communistes et pro-monarchistes. Ma découverte que les intellectuels chrétiens orthodoxes mais aussi occidentaux étaient passé à côté de cet héritage, ainsi que ma propre expérience de la Russie et de l’Ukraine où j’ai travaillé entre 1989 et 1998 (comme directeur du Collège universitaire Français de Moscou notamment) et de l’Ukraine entre 1998 et 2011 (comme directeur de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv à partir de 2004), m’ont convaincu qu’il fallait présenter de façon compréhensible aujourd’hui les principales caractéristiques de la génération des penseurs religieux de l’émigration russe. J’ai donc soutenu à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales une thèse de doctorat sur le thème de la revue La Voie (Pout’), principal organe entre 1925 et 1940 de cette Ecole de Paris. Après avoir publié mon livre en russe et en français je suis heureux que ma recherche paraisse enfin en anglais grâce à Notre Dame University Press, au travail éditorial extraordinaire de Michael Plekon et de John Jillions, et de l’excellente traduction de Jerry Ryan. La préface de Mgr Rowan Williams représente pour moi un très grand honneur.

AD: Pourquoi avez-vous écrit ce livre?

Il fallait répondre à plusieurs séries de questions. Pourquoi la mémoire collective a retenu la notion d’Ecole de Paris, alors qu’on trouve tellement de courants différents en son sein? Qu’est-ce qui les unissait au-delà de leurs divergences ? Y-a-t-il une solution de continuité entre la tradition chrétienne orthodoxe et les innovations philosophiques, dogmatiques ou encore historiques apparues dans l’entre-deux guerres ? Peut-on comprendre la crise actuelle de la conciliarité orthodoxe à partir des ruptures théologico-politiques apparues dans l’Eglise russe en 1921 et en 1930 ? Et encore, pourquoi leur pensée a-t-elle si peu été entendue aujourd’hui par les intellectuels européens ? Cela fut-il toujours le cas ? En quoi consiste la rencontre conflictuelle entre la pensée chrétienne orthodoxe et la modernité ?

AD: Parlez-nous de la méthodologie unique dans votre livre

Pour tenter de répondre à toutes ces questions il fallait adopter une méthode historique sérieuse. Ayant suivi le séminaire de Pierre Nora à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales j’ai choisi de m’appuyer sur l’approche des « lieux de mémoire ». Celle-ci consiste à marier le rapport symbolique qu’entretient la mémoire d’une génération sur elle-même avec son inscription historique dans le temps déterminée par un cadre très précis, à savoir en l’occurrence les 61 numéros de la revue La Voie. Cette méthode, associée également à la micro-histoire, m’a permis de mettre à jour les spécificités de la pensée et de la vie de chaque auteur de la revue tout en saisissant l’unité dynamique d’une génération intellectuelle à travers trois grandes périodes : le moment moderniste entre 1925 et 1930, le moment non-conformiste entre 1930 et 1935, enfin le moment spirituel entre 1935 et 1940.

AD: Expliquer l'importance de la mémoire dans votre méthode historique. 


On a tendance à confondre la mémoire et l’histoire. C’est ce sur quoi insiste Pierre Nora qui fut l’éditeur et l’ami de Michel Foucault. La mémoire se prend en général pour l’histoire car rares sont ceux qui disposent d’une vision du passé qui soit à la fois critique et pleinement conciliaire. Mais l’histoire a tendance de son côté à ignorer les mémoires particulières en faisant prévaloir systématiquement la causalité conceptuelle sur le chaos des jours et les récits particuliers. L’avantage de l’historiographie symboliste et générationnelle c’est qu’elle permet un équilibre entre l’histoire et la mémoire. Je consacre une bonne partie de mon introduction à enraciner ma recherche dans la continuité d’une tradition historiographique critique. Mais je ne suis pas naïf par rapport à elle. C’est la raison pour laquelle je consacre une bonne partie de ma conclusion et de ma postface à l’édition anglaise en situant ma recherche à la croisée de plusieurs traditions mémorielles non objectivées. L’histoire qui s’écrit peut rejoindre l’histoire qui se fait à cette seule condition de distinguer sans séparer la mémoire sapientielle de l’histoire logique. J’aime beaucoup la fresque de la chapelle Sixtine qui montre Dieu le Père créant l’histoire en se tournant vers la figure de la Sagesse.

AD: Parlez-nous des membres de « l'Ecole de Paris » et de leur importance.

Pour moi ils sont tous importants et insuffisamment connus. Car ce que j’ai découvert révèle l’émergence d’un « moment trinitaire » dans la pensée russe, d’où cette conviction qui nous reste en la mémoire que cette génération doit être saisie dans son ensemble comme Ecole de Paris. Chaque jugement, nous disent les penseurs russes depuis Florensky, est composé d’un sujet, d’un verbe, et d’un complément. Pour moi les penseurs personnalistes (comme Berdiaev, mais aussi mère Marie Skobtsoff ou plus tard Olivier Clément) insistent sur le sujet dans une filiation kantienne. Mais ils insistent tout autant sur la dimension inobjectivable du sujet, que sur sa définition possible comme personne créatrice. En effet en étant créé à l’image et à la ressemblance de Dieu l’homme dispose d’une liberté à la fois incréée (l’elevtheria, qui lui provient de son image céleste) et créée (antexousion, qui lui permet de tendre ou non vers son créateur). Les sophiologues sont ceux qui insistent sur la dimension ontologique de tout jugement, et donc sur le verbe. Le génie de Boulgakov (mais aussi de Paul Evdokimov ou plus tard John Milbank) est d’avoir repris la tradition patristique de la double nature de la Sagesse de Dieu créée et incréée. Mais il a posé les rapports entre l’une et l’autre ni sur le mode néo-platonicien de l’anima mundi, ni sur le seul mode apophatique de la tradition palamite, mais sur le mode scripturaire de la relation anthropo-cosmique entre la création et son Créateur. Enfin ceux que j’appelle les théocentristes privilégient dans leur pensée religieuse le troisième moment du jugement, la conscience de soi. C’est pourquoi ils insistent sur l’une des trois hypostases trinitaires, qu’il s’agisse de la figure du Père (Mgr Cassien Bezobrasoff, aujourd’hui le père Boris Bobrinskoy), du Fils (Georges Florovsky, aujourd’hui Mgr Jean Zizioulas) ou de l’Esprit Saint (Georges Fedotov, aujourd’hui Mgr Georges Khodr). Bien entendu la théologie après guerre s’est faite plus trinitaire qu’elle ne l’avait été dans les années 1930 mais elle garde toujours sa caractéristique commune qui est l’apophatisme, l’interdiction absolue d’objectivation de la vie trinitaire. Ces trois courants ont chacun leur importance et ils se complètent pour moi de façon remarquable. Le drame fut dans les années trente que les acteurs de ce renouveau intellectuel n’aient pas eu conscience de cette complémentarité. Comme je ne suis pas sûr que les penseurs orthodoxes l’ait bien intégrée aujourd’hui je fais le récit dans ce livre de sa lente émergence au XXe et au XXIe siècles.

AD: Expliquez brièvement l'importance de la revue Pout’

La revue Pout’, - ce n’est pas moi qui le dit mais les principaux historiens et slavistes du XXe siècle, de Marc Raeff à Alexandre Soljénytsine, et de Olivier Clément à Georges Nivat -, est la principale revue de la pensée russe au XXe siècle mais aussi de la pensée chrétienne orthodoxe. Elle a bénéficié d’une atmosphère de liberté unique dans l’histoire de la pensée russe jusqu’en 1989 puisque pour la première fois depuis la création de l’imprimerie celle-ci a pu s’exprimer sans la censure tsariste, ecclésiale ou soviétique. Elle a bénéficié aussi de ce fait extraordinaire de l’émigration russe qui a concentré dans le Quartier Latin à Paris la plus grande concentration de personnalités aussi exceptionnelles telles que Léon Chestov, Vladimir Lossky ou le père Nicolas Afanassiev. Mais la revue a su constituer un réseau mondial avec des intellectuels vivant aux Etats-Unis (S. Cavert), en Chine (T. Ku), en Allemagne (F. Lieb), et même en URSS (I. Setnitsky). Certains de ses auteurs sont devenus des saints tels que Ivan Lagovsky ou mère Marie Skobtsoff.  Ses lecteurs sont devenus également très célèbres comme Jean Meyendorff, Elisabeth Behr Sigel ou Alexandre Schmemann. Enfin pour la première fois depuis le concile de Florence cette revue a permis un dialogue en profondeur entre intellectuels d’Orient, tels que Nicolas Lossky, Vladmir Iljine, Serge Troubetskoi, Léon Zander, et d’Occident, tels que Jacques Maritain, Léon Gillet, Paul Tillich ou encore Paul Anderson.

AD: Vous écrivez à propos de l'engagement œcuménique de l'école de Paris. Certaines églises orthodoxes ont-elles perdu cet engagement aujourd'hui? Quels sont les spiritualités contradictoires vous discutez?

L’engagement œcuménique de l’Eglise Orthodoxe, qui a été affirmé en 1986 à Chambésy à l’occasion de l’une des conférences pré-conciliaires, trouve son origine dans les débats de la revue La Voie. En effet Serge Boulgakov fut l’un des membres fondateurs de Foi et Constitution. Georges Florovsky fut l’un des membres fondateurs du Conseil Œcuménique des Eglises. Léon Zander et Nicolas Zernov furent membres fondateurs du Fellowship of Saint Alban and Saint Sergius. Nicolas Berdiaev fut l’un des premiers conférenciers du World Student Christian Federation et un ami proche de John Mott, président du YMCA. Le père Nicolas Afanassiev fut le seul auteur non catholique a être cité dans les documents préparatoires au concile Vatican II. Paul Evdokimov, qui était le secrétaire de l’Académie de philosophie religieuse fut le premier président en 1953 de Syndesmos, la fédération mondiale de la jeunesse orthodoxe, qui adopta dès son origine une orientation pro-oecuménique. On pourrait encore allonger la liste. Je discute dans l’ouvrage que j’ai publié en 2011, En attendant le concile de l’Eglise Orthodoxe (Paris, Cerf) de l’histoire de cet engagement œcuménique. Je montre en particulier que ce courant œcuménique au sein de l’Eglise Orthodoxe n’a pas suffisamment pris en compte depuis 60 ans les quatre courants principaux de la spiritualité orthodoxe : les zélotes, les prosélytes, les spirituels et les contestataires. L’avenir du mouvement œcuménique tient pour une bonne part dans la prise de conscience intra-confessionnelle que le travail d’unité consiste avant tout à réconcilier les quatre représentations de l’Eglise portées par chacun de ces types spirituels.

AD: Y a-t-il des successeurs de l'école de Paris aujourd'hui?

Oui bien sûr, surtout si on s’accorde avec ce que j’ai pu expliciter par la suite dans mon livre Le père Serge Boulgakov, philosophe et théologien chrétien (Parole et Silence, 2007). Si se confirme ma thèse que la pensée chrétienne dans son ensemble vit aujourd’hui un moment de réconciliation entre la foi et la raison, entre son Orient et son Occident, entre ses trois courants personnaliste, sophiologique et théocentriste, alors on peut citer certaines personnalités de premier plan qui émergent aux quatre coins du monde chrétien orthodoxe. Je pense à John Jillions et à Michael Plekon aux Etats-Unis, à Olga Sédakova en Russie, à Constantin Sigov en Ukraine, à Petros Vassiliadis et à Eleni Kasselouri en Grèce, au métropolite Joseph Pop pour la Roumanie, à Bertrand Vergely en France, mais il y aurait tant d’autres noms à citer…Et surtout tant d’autres noms à ajouter au-delà des frontières confessionnelles de l’orthodoxie. Je pense à Rowan Williams ou au pape François, à Peter Galadza ou à Bernard Sesboüé.

AD: Travaillez-vous sur un autre livre maintenant?

Je viens de terminer un livre sur lequel j’ai travaillé pendant plus de dix ans. Il s’appelle Qu’est-ce que l’orthodoxie ? Il a été publié chez Gallimard cette année. Ce livre a été traduit en langue anglaise par J. Ryan mais n’a toujours pas trouvé d’éditeur aux Etats-Unis…...Si mon travail sur la revue La Voie représentait comme le remboursement d’une dette par rapport à tout ce que j’ai reçu, ce nouveau livre est plus personnel. Il s’agit d’une redécouverte de la richesse sémantique de la foi-pensée orthodoxe. A partir des principaux historiens de l’Eglise, des évangélistes à Eusèbe de Césarée, de Cyrille de Jérusalem à Vassili Bolotov, je montre que « l’ortho-doxie » de la foi chrétienne est un lieu particulier de la pensée rationnelle, distinct de l’épistémologie, qui articule quatre pôles majeurs : la louange et la mémoire, la loi et la justice. Mais ici encore les acteurs historiques n’ont pas toujours eu conscience de la complémentarité de ces quatre pôles en tension. C’est la raison pour laquelle l’orthodoxie a été pensée successivement de façon paradigmatique comme « juste glorification » (entre le Ier et le IVe siècle), « vérité droite » (entre le IVe et le XVe siècle), et « mémoire fidèle » (du XVIe siècle à nos jours). Depuis 1945 émerge sous nos yeux le sens de « la connaissance juste », du « fair knowledge » qui unit à nouveau de façon indissociable pratiques et savoirs, et qui a toutes les chances de devenir paradigmatique à l’heure de la globalisation et de la montée en puissance des dialogues inter-religieux. Il s’agit donc d’une histoire post-confessionnelle de la foi orthodoxe qui bouleverse bien des idées reçues et ouvre de nouveaux horizons. A bien des égards cette vision rejoint je crois le travail que vous réalisez dans la revue Logos et sur votre blog, ce pour quoi je vous félicite !

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